La Fraternite Soufie, Pure Et Sincere
Prof. Dr. Hasan Kamil YILMAZ
Dans la compréhension de la vie islamique, la base est la fraternité. Le Coran dit que les épouses du Prophète sont les mères des croyants[1], que les croyants sont tous frères[2] et que le Messager d’Allah affirme « je suis à la place de votre père »[3].
Un grand tableau familial apparaît donc puisque notre Prophète est notre père, ses épouses sont nos mères et les croyants sont les enfants de ce père et de ces mères.
Dans la pensée soufie (Tasawwuf), le maître (guide) de la voie spirituelle est comme le père, son épouse comme la mère et les personnes liées au maître sont comme des frères. Ici aussi se forme une famille avec le guide, son épouse et ses enfants spirituels. Dans le contexte de la famille, la fraternité et la communication sont basées sur l’amour et la compassion.
La fraternité islamique s’est formée grâce à la foi et Allah, dans l’Histoire, a supprimé les sentiments d’animosité et a formé un cadre de paix. Il a mis fin à la lutte entre les clans de Aws et de Hazrec à Médine et c’est cette fraternité qui les a liés[4]
Après ce verset, qui indique que Muhammad était le Messager d’Allah et cite les caractéristiques des croyants :« ceux qui sont avec lui sont durs envers les mécréants, miséricordieux entre eux»[5], il est aussi indiqué que les musulmans et leur fraternité doivent se baser sur le lien ultime; dans un autre verset coranique, il est également stipulé que la fraternité doit être fixée loin des problèmes attachés aux blessures de cœur et de rancœur[6] , comme une dynamique importante.
La fraternité ainsi que l’amitié envers Allah ouvrent les portes du paradis; ce qui ferme les portes de l’enfer, c’est le renoncement et le sacrifice. Car les amitiés de ce monde y restent et ce qui est amené dans l’au-delà, c’est l’amitié au nom d’Allah.
Allah le Tout-Puissant décrit ce fait dans le verset coranique suivant:
« Les amis, ce jour-là, seront ennemis les uns des autres; excepté les pieux. »[7]
De telles amitiés et fraternité constituent l’un des sept groupes qui seront sous l’ombre de l’arche lorsqu’il n’y aura plus aucune ombre, cette nouvelle étant apportée par le Prophète. Eux, qui s’aiment pour Allah, vivent pour cet amour et meurent pour cet amour, sont des frères.[8]
La fraternité doit se vivre au nom d’Allah. Junayd al-Baghdâdî a dit que deux personnes qui se quittent en raison des intérêts de ce monde ne peuvent pas être des frères car la fraternité au nom d’Allah implique de se trouver l’un en face de l’autre, de se regarder dans les yeux et d’être en harmonie de cœur. Quand la distance s’établit et que la froideur s’installe, la fraternité n’est plus. Lorsqu’un croyant, au nom d’Allah, voit son frère accomplir une mauvaise action, il l’avertit afin qu’il y remédie; s’il ne cherche pas de solution, il lui aura tourné le dos et aura manqué au fait de ne l’avoir pas regardé en face. La fraternité au nom d’Allah est plus pure et plus claire que l’eau de source.
De plus, Allah exige ce qu’il y a de plus pur et de plus clair en ce qui Le concerne. Quand une chose perd de sa pureté et de sa clarté, elle perd également sa spécificité.
C’est pourquoi une amitié pure, l’individu qui reste éloigné des intérêts de ce monde et du matériel et celui qui reste proche de la chasteté seront éternels.
Allah dit à propos de la continuité et de la pureté de la fraternité:
«Ne dérange pas ton frère en le blessant, ne plaisante pas beaucoup et ne lui donne aucune promesse que tu ne pourras tenir.»[9]
En ce qui concerne la fraternité soufie, Abû Saïd Harrâz رَحْمَتَ الله عَلَيْهِ a dit:« Je suis resté cinquante ans parmi les croyants, avec eux j’ai vieilli et il n’y a jamais eu de mésentente entre nous. »
Quelqu’un qui l’écoutait demanda:« Comment as-tu réussi ? »
Harrâz رَحْمَتَ الله عَلَيْهِ répondit:« Tant que j’étais parmi eux, j’ai tenté d’être maître de mes désirs, de ne pas leur causer de souffrance, de leur faire du bien; même si je ne réussissais pas à accomplir cela, j’ai tenté de ne pas leur faire du tort. Même si de temps en temps il y avait séparation ou des paroles contraires, j’ai tenté de me remémorer mes amis avec bonté et bienfaisance. »
Puisque l’un des Noms d’Allah est « Sattâr », ce qui correspond le mieux au croyant est de dissimuler les mauvais penchants de ses amis et de vanter leurs bons côtés. Même si sur le plan religieux, l’ami qui critique les mauvaises actions de son ami ne doit pas se mettre en colère contre lui et le dénigrer. Ainsi, la morale qu’Allah a donnée au Prophète demeure dans une telle nécessité.
Allah a même donné cet ordre:
« Mais s’ils te désobéissent, dis-leur: ‹Moi, je désavoue ce que vous faites›. »[10]
Il n’a pas dit: « Je suis loin de vous ».
Ici, il est indiqué qu’en séparant les personnes à cause de leur comportement, il ne peut y avoir de quelconque supériorité. Car si le changement dans l’état et les actions d’un homme sont une déviance fautive, celle-ci peut être corrigée en y renonçant, ceci étant souhaitable. En raison de cet acte, il n’est pas juste de le dénigrer à cause d’un seul acte.
Par conséquent, il faut le regarder avec compassion et devenir un intermédiaire pour qu’il puisse se libérer de sa faute en parvenant au silence.
Quand les membres d’un clan avaient commencé à injurier un homme en raison de son action, le Prophète leur avait dit: «Arrêtez-donc et soyez patients. Ne soyez pas un appui du diable contre votre frère»[11]
Avec cet ordre, il avait interdit tout acte allant dans ce sens.
Ibrahim ibn Yazid al Nakhaî رَحْمَتَ الله عَلَيْهِ a dit:« Ne coupe pas tes liens avec ton frère qui commet de mauvaises actes car si aujourd’hui il a commis une mauvaise action, demain il peut y renoncer.»
Avec ceci, il a voulu dire qu’il ne fallait pas couper les ponts avec une personne qui commettait des fautes.
Ainsi, Shaykh Sa’di رَحْمَتَ الله عَلَيْهِ exprime également cette idée dans un de ses poèmes:
Le devoir de la langue est de remercier Allah, elle est là pour remercier.
O celui qui connaît Allah, n’occupe pas ta langue en pratiquant le commérage.
L’oreille est l’organe qui écoute le Coran et les conseils.
N’écoute pas les mensonges et les phrases sans valeur.
L’œil est beau pour voir l’art d’Allah.
Ferme ton œil au défaut de ton ami, ne le vois plus.[12]
L’une des conditions de la fraternité et de l’amitié (vraies), c’est de demeurer avec son ami, de se préoccuper de ses peines, d’être près de lui quand il a des soucis.
Selon un récit, Abdullah ibn Omar, était en train de regarder de droite à gauche comme s’il cherchait quelqu’un.
Le Prophète, en le voyant agir ainsi, lui demanda ce qu’il cherchait.
Abdullah lui répondit: « Ô Messager d’Allah ! J’avais pris, au nom d’Allah, quelqu’un comme ami. Je voudrais le voir mais je n’y parviens pas. »
Sur ce, le Messager d’Allah s’adressa à lui en des termes qui peuvent être exemplaires pour les croyants d’aujourd’hui:
« Ô Abdullah ! Lorsque tu prends un homme pour ami, demande-lui son nom, celui de son père et le lieu où il demeure. De cette façon, lorsque ton frère tombe malade, va le visiter chez lui, et en cas de soucis tu te précipiteras pour l’aider. »[13]
L’un des bons côtés de cette manifestation d’amour établie au nom d’Allah est que la personne n’attend pas de celui qui est en face de lui des biens ou des choses appartenant à ce monde. Un amour qui s’entache d’une telle impureté peut gagner en grandeur grâce à la purification de ces sentiments.
En effet, la fraternité pure et sincère ne doit aucunement se fonder sur un quelconque intérêt mondain. De plus, choisir son frère parmi tous les sujets de ce monde et de la religion est une des conditions établies pour aimer au nom d’Allah.
Dans le Coran, la conception du terme « isâr »signifie qu’en raison de son affection particulière la personne puisse, sans avoir le cœur pincé, choisir son frère à sa place.[14]
Choisir son frère au lieu de soi, ne pas sentir son cœur pincé est l’indicateur de l’amour et de l’affection religieuse. Chez les personnes ayant un tel sentiment, il ne peut y avoir de jalousie et de rancœur. La fierté de l’humanité, personnifiée par notre Prophète, a exposé aux hommes ces paroles qui sont les bases de la fraternité et de l’amitié dépassant les valeurs universelles d’aujourd’hui:
« Chaque individu partage la croyance de son ami intime. Que chacun de vous regarde avant de choisir son ami intime. »[15]
« Il ne peut y avoir de bonté dans l’amitié si chaque individu ne demande pas pour son ami ce qu’il désire pour lui-même »[16]
Les bases de la fraternité pure et sincère sont exprimées par le soufi Abû Muawiya al-Aswad رَحْمَتَ الله عَلَيْهِ dans le même sens que celui du Prophète: « Mes frères me sont tous supérieurs. »
Quand on lui en demanda pourquoi, il répondit en dessinant la réalité de la fraternité:
« Ils me vouent comme étant supérieur à eux. Toute personne qui me voit supérieur à lui-même est meilleure. » [17]
Car dans la fraternité pure et sincère, ce qui est important, c’est de considérer son frère comme supérieur à soi-même.
[1] Coran, Al-Ahzab, 33/6.
[2] Coran, Al-Hujurât, 49/10.
[3] Ibn Majah, Tahara, 16; Abû Daoud, Tahara, 4.
[4] Coran, Al-Imran, 3/103.
[5] Coran, Al-Fath, 48/29.
[6] Coran, Al-Anfal, 8/1.
[7] Coran, Az-Zuhruf, 43/67.
[8] Al Boukhari, Adhan, 36, Hudûd, 19; Muslim, Zakât, 91; At Tirmidhi, Zuhd, 53.
[9] At Tirmidhi, Birr, 58.
[10] Coran, Ash-Shu’arâ, 26/216.
[11] Al Boukhari, Hudûd, 5; Ibn Hanbal, I, 438
[12] Rûhu’l-beyân, Beyrouth 2001, I, 98.
[13] At Tirmidhi, Zuhd, 54; Bayhaqi, Shuabu’l îman, VI, 492.
[14] Coran, Al-Hashr, 59/9.
[15] At Tirmidhi, Zuhd, 45.
[16] Qudâî, Musnadu’l shihâb, hadith n° 907;Kenzu’l ummâl, c. IX, s.65, hadith n° 24821.
[17] Sohrawardi, Awârifu’l maârif, trad. H. Kamil Yılmaz, Irfan Gündüz, Istanbul 1990, s.543.